Pluralité de cautions solidaires : la compensation dont bénéficie l’une d’elles profite-elle à l’autre ?
La compensation entre des dommages et intérêts dus par le créancier fautif à l’égard de la caution et la créance de cette dernière au titre de sa garantie envers ce même créancier profite-elle aux autres cautions solidaires et éteint-elle la dette principale ?
La compensation est aujourd’hui définie à l’article 1347 du Code civil comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes ».
La Cour de cassation s’est vue saisir de la question suivante : en cas de pluralité de cautions solidaires, la compensation dont bénéficie l’une d’elles profitent-elle à l’autre ? (Cass.com. 25 janvier 2023 n°21-12.220)
En l’espèce, trois personnes s’étaient portées cautions solidaires d’un prêt bancaire consenti à une société.
La banque a poursuivi les trois cautions solidaires pour obtenir le règlement de sa créance.
Les trois cautions ont avancé comme moyen de défense la disproportion de leur engagement et sollicité des dommages et intérêts (et non une décharge de leur engagement).
La Cour d’appel n’a retenu cet argument que pour deux des trois cautions. Elle a condamné la banque à leur payer des dommages et intérêts et a prononcé la compensation entre ces dommages et intérêts (23.000 €) et les sommes dues par les deux cautions elles-mêmes (29.148,64€).
Après compensation, les deux cautions ont payé la différence, soit la somme de 6.887,25 € au titre de leur engagement.
La banque a entrepris des mesures d’exécution forcée à l’encontre de la troisième caution, à hauteur du solde de sa créance (23.000 €).
La troisième caution a soutenu que la créance de la banque était éteinte.
Selon elle, si la caution solidaire ne peut opposer la compensation de ce que le créancier doit à son cofidéjusseur, elle peut se prévaloir de l’extinction totale ou partielle, par compensation, de la dette garantie. Dès lors, en jugeant du contraire, la Cour d’appel aurait violé l’article 1234 du Code civil.
La Cour de Cassation a rejeté le pourvoi, formé par la troisième caution.
A cet effet, elle s’est fondée sur l’article 1234 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et l’article 2288 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021.
Pour la Haute juridiction, la compensation opérée entre une créance de dommages et intérêts, résultant du comportement fautif du créancier à l’égard de la caution lors de la souscription de son engagement et tendant à la réparation du préjudice que causerait à celle-ci l’exécution effective de cet engagement, et celle due par la caution, au titre de sa garantie envers ce même créancier, n’éteint pas la dette principale garantie mais, à concurrence, l’obligation de cette seule caution :
« 4. Il résulte de l’article 1234 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, et de l’article 2288 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, que la compensation opérée entre une créance de dommages et intérêts, résultant du comportement fautif du créancier à l’égard de la caution lors de la souscription de son engagement et tendant à la réparation du préjudice que causerait à celle-ci l’exécution effective de cet engagement, et celle due par la caution, au titre de sa garantie envers ce même créancier, n’éteint pas la dette principale garantie mais, à due concurrence, l’obligation de cette seule caution ».
Il est à noter que tous ne partagent pas le même avis sur la question.
L’Avocat général avait en effet invité la Cour de cassation à revenir sur sa jurisprudence antérieure, considérant que la compensation est une exception commune inhérente à la dette, ayant pour effet de libérer entièrement tous les codébiteurs, lorsqu’elle a été invoquée avec succès par l’un d’entre eux (avis de Mme GUÉGUEN, Première Avocate Générale – Arrêt n° 91 du 25 janvier 2023 – Chambre commerciale, financière et économique Pourvoi n° 21-12.220).
La Haute juridiction n’a toutefois pas modifié sa jurisprudence antérieure, selon laquelle la compensation opérée entre une créance de dommages et intérêts, résultant du comportement fautif du créancier à l’égard de la caution lors de la souscription de son engagement, et celle due par cette dernière, au titre de sa garantie envers ce même créancier, n’éteint pas la dette principale garantie mais, à due concurrence, l’obligation de la seule caution (Cass.com. 13 mars 2012 n°10-28.635) et (Cass.com. 6 juillet 2022 n°20-17.279).
Maîtres Stéphane BONIN et Nathan HAGGIAG