Peut-on contourner l’interdépendance des contrats prévue par l’article 1186 du code civil ?

Droit commercial  | 03 avril 2024

Quels enseignements peut-on tirer de l’arrêt rendu par l’arrêt rendu par la Chambre commerciale financière et économique de la Cour de Cassation, le 10 janvier 2024 ?

La notion d’interdépendance des contrats n’est pas nouvelle.

Dès avant l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats, le 1er octobre 2016, la jurisprudence de la Cour de Cassation était, d’ores et déjà, clairement établie.

La Cour de Cassation considérait, en effet, que :

  • les contrats concomitants ou successifs, qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants ;

La plupart de ces décisions portaient sur un contrat de location financière conclu concomitamment à un contrat de maintenance du matériel financé.

Le prestataire de services, débiteur de l’obligation de maintenance, avait fait l’objet d’un jugement de liquidation judiciaire et, dès lors, n’était plus en mesure d’assurer ses prestations.

Dans une telle hypothèse, la Cour de Cassation considérait que, le contrat de maintenance étant une condition déterminante de la souscription du contrat de location financière, ce dernier était voué à la caducité.

Ainsi, le simple fait que le prestataire de services, débiteur de l’obligation de maintenance, ait été placé en liquidation judiciaire n’était pas suffisant pour obtenir la caducité du contrat de location financière.

La jurisprudence de la Cour de Cassation a été consacrée par l’article 1186 du Code Civil, applicable depuis le 1er octobre 2016, lequel est libellé comme suit :

« Un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît.

Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie.

La caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. »

La Cour de Cassation a fait, pour la première fois, application de cet article dans son arrêt du 10 janvier 2024.

Elle a maintenu sa jurisprudence antérieure à la réforme, en motivant sa décision comme suit :

« Les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière étant interdépendants, il en résulte que l’exécution de chacun de ces contrats est une condition déterminante du consentement des parties, de sorte que lorsque l’un d’eux disparait, les autres contrats sont caducs si le cocontractant contre lequel cette caducité est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. »

Attention toutefois !

La Cour de Cassation a statué, sur la base de dispositions contractuelles qui prévoyaient, qu’en cas d’anéantissement d’un contrat de maintenance ou de prestation de services affectant le contrat de location, celui-ci ne pouvait qu’être résilié, le locataire étant redevable d’une indemnité de résiliation.

Ainsi, le contrat litigieux établissait clairement un lien entre la maintenance des matériels financés et la location financière.

La Cour de Cassation a donc légitimement considéré que ces dispositions contractuelles n’étaient pas compatibles avec l’article 1186 du Code Civil.

Il n’est toutefois nullement acquis que cette jurisprudence ait vocation à s’appliquer à tous les contrats de location financière ou de crédit-bail.

En effet, la rédaction de l’article 1186 du Code Civil semble permettre aux parties d’exprimer leur volonté quant au caractère indivisible ou non d’un ensemble contractuel.

En premier lieu, l’article 1186 vise l’hypothèse en laquelle « l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération ».

Or, il n’est pas acquis qu’un contrat de maintenance doive nécessairement être adossé à un contrat de location financière ou de crédit-bail.

Les parties pourraient donc parfaitement exprimer, dans les conditions générales ou les conditions particulières du contrat de location financière, le fait que celui-ci doit s’apprécier de manière isolée, à charge pour le locataire d’assurer la maintenance de l’appareil financé selon les modalités qui lui sembleront appropriées, auprès d’un prestataire de son choix, sans intervention du bailleur.

En second lieu, l’article 1186 du Code Civil prévoit deux hypothèses de caducité :

  1. « Sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible » par la disparition de l’un des contrats nécessaires à la réalisation d’une même opération,
  • les contrats pour lesquels l’exécution du contrat disparu était « une condition déterminante du consentement d’une partie ».

Pour échapper aux dispositions de l’article 1186 du Code Civil, les parties gardent la possibilité de :

  • exprimer, dans le contrat de location financière lui-même, le fait que la souscription concomitante, par le locataire, d’un contrat de maintenance ne constitue pas une condition déterminante de son consentement à la signature du contrat de location financière,
  • maintenir une obligation à la charge du locataire d’assurer l’entretien et la maintenance du matériel loué, en lui laissant toute latitude sur le choix du prestataire.

Ainsi, en cas de liquidation judiciaire du prestataire ou, d’une manière générale, en cas d’impossibilité pour celui-ci d’assurer la prestation de maintenance, le locataire disposera de toute latitude pour conclure un nouveau contrat de maintenance avec un autre prestataire.

Dans ce contexte, le contrat de location financière pourrait parfaitement se poursuivre.

Bien évidemment, ce schéma contractuel suppose que le matériel loué ne soit pas spécifique et que, dès lors, le locataire ait effectivement la possibilité de trouver un prestataire pour en assurer la maintenance en lieu et place de son premier prestataire défaillant.

***

Au total, même si dans son arrêt du 10 janvier 2024 la Cour de Cassation maintient sa jurisprudence antérieure, cette décision n’interdit pas aux parties d’exprimer leur volonté de manière explicite et, en particulier, le fait que le contrat de location financière ou de crédit-bail constitue une opération autonome et non liée à quelque contrat de maintenance que ce soit.

A suivre…

Maître Stéphane BONIN

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