Pluralité de cautions : comment éviter un effet « boule de neige » en cas de nullité de l’un des engagements de caution ?

Droit commercial  | 25 novembre 2024

La Cour de cassation confirme sa jurisprudence habituelle et laisse la possibilité aux parties de prévoir des dispositions conventionnelles spécifiques.

La Cour de cassation confirme sa jurisprudence habituelle et laisse la possibilité aux partis de prévoir des dispositions conventionnelles spécifiques.

Les établissements financiers ont la possibilité d’écarter tout risque de cette nature.

Nous avons déjà abordé ce thème, voici quelques mois.

Lorsque qu’un créancier dispose de plusieurs cautionnements consentis à son bénéfice, il peut arriver que dans le cadre de son action en paiement à l’encontre des cautions, l’une d’elle soit jugée disproportionnée et que, dès lors la caution concernée soit libérée de son engagement.

La caution subsistante assignée en paiement se voit ainsi privée de son recours subrogatoire à l’encontre de la caution libérée de son engagement et tenue de supporter l’entièreté de la dette.

Dans ces conditions, la caution subsistante assignée en garantie peut-elle se prévaloir de la libération de la première pour se défaire de son propre engagement ?

Dans un arrêt rendu le 11 septembre 2024 (Cass. Com., 11 septembre 2024, 23-11.534), la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle les conditions dans lesquelles une caution peut invoquer la disparition de l’engagement de ses cofidéjusseurs pour solliciter la nullité de son propre engagement.

Au cas d’espèce, une société a ouvert deux comptes courants dans les livres d’un établissement bancaire. Le même jour, un prêt de 100.000 € a été consenti à la société, garanti par les cautionnements de quatre personnes.

La banque avait également accordé à cette même société, une autorisation de découvert d’un montant de 20.000 €, garantie par trois cautions.

Suite à la liquidation judiciaire de la société, la banque a mis en demeure chacune des cautions d’honorer leurs engagements, puis les a assignées en paiement.

En première instance, les demandes de la banque à l’encontre de deux cautions ont été rejetées au motif que leurs engagements étaient manifestement disproportionnés au regard de leur patrimoine et seules les deux autres cautions ont été condamnées solidairement au paiement de diverses sommes.

L’une des cautions condamnées a interjeté appel en invoquant, notamment, la nullité de son engagement de caution en garantie du prêt pour erreur consistant en une croyance erronée en l’existence de deux autres cautionnements consentis à la banque.

La caution soutenait que, l’existence des engagements de ses cofidéjusseurs était un élément déterminant de son propre engagement et qu’ainsi, s’il avait su que les engagements de ces derniers seraient jugés manifestement disproportionnés et que, par conséquent, la banque ne pourrait pas s’en prévaloir, il n’aurait pas accepté de s’engager.

La Cour d’appel de Metz a rejeté sa demande et a confirmé la décision de première instance, sur le fondement de l’article 1110 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable au litige qui prévoit que « l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet ».
La caution a formé un pourvoi en cassation.

Dans son arrêt rendu le 11 septembre 2024, la Cour de cassation a jugé que le moyen n’était pas fondé.

La Cour de cassation a considéré qu’il appartenait à la caution qui invoque la nullité de son engagement de rapporter la preuve de l’existence des cautionnements invalidés était une condition déterminante de son consentement.

Au cas particulier, la cour d’appel avait relevé dans son arrêt que :

  • l’acte de cautionnement litigieux ne faisait aucune mention du caractère déterminant de l’existence ou de l’efficacité des engagements des cofidéjusseurs ;
  • la durée de l’engagement de cette caution était plus longue que celle de ses cofidéjusseurs ;
  • une clause des conditions générales du prêt acceptées et paraphées par l’ensemble des cautions, stipulait que « la caution ne fait pas de la situation du cautionné ainsi que de l’existence et du maintien d’autres cautions la condition déterminante de son cautionnement » ;

La Cour de cassation a donc statué en ces termes : « De cette énonciation et de ces appréciations souveraines, la Cour d’appel a pu déduire que celui-ci ne justifiait pas que son engagement de caution n’avait été consenti qu’en raison de l’existence des autres engagements de caution. »

Cette décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence antérieure de la première chambre civile et de la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 1er juillet 1997, no 95-12.163 ; Cass. Com., 30 novembre 2010, no 09-16.709 ; Cass. Com. 21 juin 2023, n° 22-11.439).

Notons que l’article 1135 du Code civil, tel qu’il est issu de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 s’inscrit dans le prolongement de cette jurisprudence et prévoit que : « un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement. »

Il convient donc de retenir qu’en cas de pluralité de cautionnements, l’inefficacité de l’un, notamment en raison de son caractère disproportionné n’entraîne pas systématiquement la nullité de l’autre, à moins, pour la caution invoquant la nullité, de prouver qu’elle a fait de l’existence ou de l’efficacité de l’autre cautionnement, une condition déterminante de son consentement, notamment par une mention expresse dans son acte de cautionnement.

La particularité de l’arrêt rendu le 11 septembre 2024 réside dans l’anticipation par la banque du risque de nullité du cautionnement en insérant dans le contrat de prêt paraphé par les cautions, une clause stipulant que chacune des cautions ne ferait pas du maintien d’autres cautions, la condition déterminante de son engagement.

Ainsi, les professionnels et les établissements financiers, gagnerait à prévoir de manière systématique de telles clauses types dans leurs modèles d’acte de cautionnement afin d’anticiper le risque d’anéantissement de l’ensemble des garanties souscrits.

Pensez y !

Maîtres Stéphane BONIN et Manzima TCHALIM

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