Rupture des relations commerciales : les éléments postérieurs à la rupture ne doivent pas être pris en compte pour apprécier la durée du préavis
Quels sont les critères à prendre en compte pour apprécier la durée du préavis à respecter lors de la résiliation d’un contrat avec un partenaire habituel ?
L’article L.442-1 II alinéa 1 sanctionne la rupture brutale des relations commerciales établies dans les termes suivants :
« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. »
La détermination de la durée nécessaire du préavis relève de l’appréciation souveraine des juges du fonds.
Habituellement, les juridictions prennent en considération les éléments suivants :
- l’ancienneté de la relation commerciale,
- l’importance du courant d’affaires,
- la spécificité des investissements réalisés par la victime au profit de l’auteur de la rupture.
- la dépendance économique du partenaire commercial ou à l’existence d’un accord d’exclusivité
C’est dans ce contexte que la Cour de Cassation s’est vue saisir de la question suivante : à quel moment doit-on apprécier la durée du préavis nécessaire en cas de rupture des relations commerciales établies ? (Cass. Com, 17 mai 2023, n°21-24.809)
En l’espèce, une société française de transport international avait confié le marché marocain à une société de transport locale.
A la suite du rachat de cette société de transport, le cessionnaire décide de résilier le contrat qui le liait avec la société marocaine.
Cette dernière décide donc d’engager une action en responsabilité pour rupture brutale de relations commerciales établies sur le fondement de l’article L.442-1, II alinéa 1 du Code de commerce.
Le litige a été porté devant la Cour d’appel de Paris, laquelle pour fixer la durée du préavis, a pris en compte les investissements réalisés par la société marocaine pour développer l’activité commune (installation de plusieurs agences, emploi de personnels…). La Cour d’Appel a relevé également que la société marocaine avait su rapidement se réorganiser après la rupture en trouvant d’autres débouchés, qu’elle exerçait son activité sous une autre enseigne et avait passé des accords tarifaires « négociés » avec des transporteurs concurrents.
Par un arrêt du 17 mai 2023, la Chambre commerciale de la Cour de Cassation est venue censurer la décision rendue par la Cour d’appel en estimant qu’elle ne pouvait se fonder sur des éléments postérieurs à la notification de la rupture pour apprécier la durée du préavis.
Cet arrêt de la Cour de Cassation rappelle une nouvelle fois qu’en cas de rupture des relations commerciales, le délai du préavis suffisant s’apprécie en tenant compte de la durée de ces relations et des autres circonstances connues au moment de la notification de la rupture.
Cette décision s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle qui retient que les circonstances postérieures à la rupture, qu’elles soient favorables ou défavorables au demandeur, ne peuvent être prises en compte pour apprécier le préavis nécessaire et a fortiori, le caractère brutal de la rupture. Les juges doivent se placer au moment de la notification pour apprécier, le cas échéant, les possibilités de reconversion de la société au regard des particularités du marché. (Cass. Com 6 novembre 2012, n°11-24.570)
En revanche, les juges ne peuvent prendre en compte, pour minorer le délai de préavis, le fait que la société demanderesse se soit rapidement reconvertie.